Le petit poucet – épisode 5 : Regardez voir

Rédigée à plusieurs mains, par les bénévoles des pépinières de quartier, la chronique du Petit Poucet a pour objectif de continuer à échanger sur nos réflexions et nos expériences de jardinage en cette période de confinement … comme les petits cailloux semés par le Petit Poucet dans la forêt, cette chronique essaye de nous aider à parcourir le chemin du retour à la vie normale …


J’ai une marotte, c’est d’opposer le parc de Bagatelle, d’une part, et les jardins partagés et les pieds d’arbres de Paris, d’autre part. Ce parti pris vient sans doute de ce que je m’occupe de végétaliser quelques pieds d’arbre et que je suis membre d’un jardin partagé.

Pendant le confinement, c’est le moment de réfléchir sur la nécessité de l’un et des autres et par conséquent de leur complémentarité.

Pourquoi avais-je cette propension à les opposer ?

Ma 1ère frustration venait de ce que dans ces magnifiques parcs aux 2 bouts de la capitale, on me donnait à voir, le plus souvent moyennant paiement d’un ticket. J’étais l’éternel badaud venu contempler le produit de ses impôts, par le truchement d’édiles éclairés. « Ils » ou « elles » savaient ce dont j’avais besoin, espace, beauté, couleurs, sans vraiment recueillir mon avis (ce n’est plus tout à fait vrai, ex. les budgets participatifs).

Donner à voir n’appartient-il pas à chacun ? La liberté de concevoir un espace végétalisé pour le montrer, après tout c’est comme de montrer ses dessins ou peintures aux journées de portes ouvertes. C’est un besoin naturel, un acte social, avec tout ce que cela comporte d’ambiguïté mais c’est la loi du genre.

Ma 2ème frustration venait du processus de production. La production de masse (Bagatelle 10 000 rosiers, 1 100 variétés de roses) me fait regarder ce jardin comme un décor de luxe où l’on me demande de voir mais de ne pas trop regarder… l’envers du décor, engrais, pesticides (maintenant interdits), manque de transparence sur les origines des plants.

Enfin la dernière, qui n’est pas la moindre, portait sur l’éloignement : la nature, pour qu’elle soit naturelle, devrait s’écarter absolument de la ville, comme si, jusqu’à récemment, on avait abandonné tout espoir de conciliation entre les deux ? En renonçant dans le passé, et  même encore parfois à notre époque, aux espaces verts,  certains quartiers de Paris souffrent d’une densité de population parmi les plus fortes d’Europe.

Faites un test : pour la comparaison, parcourez Copenhague sur la toile, je vous laisse juge.

J’aime le buddleia, l’arbre à papillons, car il pousse sur les friches urbaines, sur de la terre polluée. Si nous l’avons abandonnée pendant longtemps dans nos villes, la nature, elle, n’abandonne jamais. Un soupçon de terre entre 2 pavés, et vous aurez un brin d’herbe ; une fente au pied d’un mur, c’est parfait pour le pissenlit.

J’avais suivi Cyril dans un itinéraire proposé par la Ville de Paris pour observer les migrations des espèces végétales dans Paris. Du cimetière du Père Lachaise en passant par la rue du Chemin Vert jusqu’au boulevard Voltaire et le jardin Truillot, on voyait se dessiner ce parcours de la nature qui venait combler les espaces laissés en partie nus, quelquefois à dessein, sur les carrés de végétalisation.

C’est clair, la nature peut domestiquer la ville. Dans quelle mesure, c’est à nous de le dire et d’agir.

C’est tout le propos de Pépins Production que je vous laisse découvrir ou redécouvrir sur son site.

Mais revenons au regard. Nous voyons tous la ville, nous ne la regardons pas tous de la même manière, et ce que nous en percevons est encore plus divers.

Regarder : On peut regarder en l’air en marchant (attention aux obstacles), à ses pieds ou droit devant soi. Faites l’exercice dans votre rue et résumez la différence de ce que vous en retenez entre les trois postures. Attention, l’exercice n’a d’intérêt que si vous passez à l’étape suivante, que voici.

Regarder voir, ou autrement dit percevoir : Si, en décrivant ce que vous avez regardé dans votre rue au cours de l’exercice que je vous ai proposé, vous avez surtout remarqué la fleuriste qui arrosait des bégonias à l’étalage, vous n’avez pas la même perception qu’une autre personne qui a surtout remarqué le cycliste qui remontait la rue à contresens. Sans compter que si un encombrant sauvage venait à être déposé à côté de la boutique, vous négligeriez peut-être la fleuriste.

Ce qui est réconfortant, c’est de savoir que l’on peut agir sur sa perception. Après avoir entrepris la végétalisation de « mes » pieds d’arbre, et à force de voir la rue au ras du bitume, l’image que j’avais en tête du Boulevard Voltaire s’est modifiée : les motos sur le trottoir, la devanture du restaurant  Julo avec ses plantes, le balcon fleuri du 5° du 34, les pieds d’arbre du 39 de Daniel, le buisson de roses pompons au coin de la rue de Crussol et ainsi de suite ont pris les premières places dans mon diaporama intérieur du boulevard, délogeant la banque et même le Grand Café le Bataclan (mais pas la salle de concert, qui reste un caillou pesant dans ma mémoire). Avant j’aimais bien le Boulevard Voltaire, maintenant je l’aime, et je vis mieux mon quartier.

Nous voyons comme nous pouvons, nous regardons comme nous voulons, nous percevons comme nous le pensons. Autrement dit, ça ne vient pas tout seul de changer son regarder-voir. Il faut libérer des neurones mais ça fait du bien.

Voici un exemple avec une dimension collective : l’avenue de Breteuil à cheval sur le 7ème et le 15ème arrondissement. Sur l’initiative d’une association, quantité de pieds d’arbre ont été végétalisés. On y trouve toute sorte d’espèces et même un mini jardin japonais. En la parcourant, on se réjouit de ce qui vous est montré, et en plus on sait qu’on le doit à des particuliers désintéressés. Le décor a changé : autrefois un peu compassé, il a pris plus de couleur ; un peu de désordre au milieu des lignes horizontales et verticales  des arbres, des pelouses et des trottoirs agit maintenant comme un clin d’œil empathique.

Vous cherchez à exercer votre perception de Paris : une initiative est en cours chez Coccinel’idées en participation avec le DPH SAMUSOCIAL pour végétaliser 37 pieds d’arbre du Boulevard Voltaire entre le Jardin Truillot et le Boulevard Richard Lenoir. Si cela vous dit, contactez-les pour participer (après le confinement hélas).

Non, les jardins dans la ville, quels que soient leur taille, ça a vraiment du sens. Ce n’est pas un sous-produit canada-dry des grands parcs.

Alors, ces parcs ? Faut-il continuer à les aimer ?

Mais oui, bien sûr. Le beau parc est comme un tableau de maître, un décor de rêve où nous découvrons une nature de rêve.  De l’art quoi. En plus, on peut pique niquer, distraire les enfants, faire la sieste ou écouter de la musique (festival d’automne au Parc Floral), sans oublier les amoureux transis. Un antichambre du bonheur.

Les jardins dans la ville, eux, c’est toujours la ville mais ce décor, c’est le nôtre pour nous tous, à chaque instant. Ils m’accompagnent dès que je sors.

Restez éveillés

Le Petit Poucet

A lire : AGRICULTEURS URBAINS : DU BALCON À LA PROFESSION Grégoire BLEU disponible dans certaines bibliothèques de la Ville de Paris.

Pour demander un permis de végétaliser à la Ville de Paris : un-permis-pour-vegetaliser.