Le petit poucet – épisode 6 : Vous dites résilience ?

Rédigée à plusieurs mains, par les bénévoles des pépinières de quartier, la chronique du Petit Poucet a pour objectif de continuer à échanger sur nos réflexions et nos expériences de jardinage en cette période de confinement … comme les petits cailloux semés par le Petit Poucet dans la forêt, cette chronique essaye de nous aider à parcourir le chemin du retour à la vie normale …


La nature et nous

J’avais eu l’occasion de parler de Boccace et sa découverte, comme citadin de Florence il y a près de 7 siècles, de la beauté du paysage rural.  Il prenait conscience d’une rupture  entre la ville et la campagne. Jusque-là, la vie agricole restait très proche de la vie urbaine et même s’y entremêlait.  Dans les grandes cités de la fin du moyen âge, les limites devenaient plus marquées et la grande peste servit de révélateur à notre auteur.

La réflexion sur le sujet ville-campagne n’a plus cessé d’être débattu avec le peu de succès que l’on sait. Parmi les cris d’alarme, j’avais noté celui de David Thoreau, un américain du Massachusetts (descendant d’une famille française des environs de Limoges) dans son ouvrage « Walden ou la vie dans les bois » publié en 1854 mais sans trop y attacher d’importance, tant l’ouvrage me paraissait utopiste et …ennuyeux (mille excuses).

Merci à Anne-Laure de m’avoir fait connaître « Walden Raft », sorte d’installation d’art contemporain d’Elise Morin et Florent Albinet, en hommage au Walden de Thoreau. Elle m’a permis de me rendre sensible Walden, en m’évitant de patauger dans le concept et la théorie.

Imaginez une cabane de verre agrémentée de petits panneaux de bois collés sur les parois, le tout flottant sur l’eau au milieu d’un lac d’Auvergne, entouré de hautes collines boisées. Le spectateur est invité à monter sur le rafiot et de plusieurs endroits du lac il peut observer la nature boisée qui l’entoure  tout en expérimentant la vie en cabane.

Après les grottes, les cabanes et les tentes sont les modes les plus simples pour s’offrir un couvert. C’est en tous cas l’opinion de Thoreau.

Sa question est somme toute assez simple : qu’apportent les maisons en dur que l’on ne peut déplacer et, quand on y réside, d’où l’on ne peut voir que d’autres bâtiments ? Je simplifie, bien entendu. Sa réponse, fruit de son expérience vécue pendant 2 ans, 2 mois et 2 jours dans une cabane construite de ses mains au bord de l’étang Walden, est assez radicale. Je m’en tiendrai à sa démarche.

Ce qui me plait chez cet homme pragmatique, c’est sa façon de convoquer la nature pour améliorer sa propre vie, ainsi : « Le sol, semble-t-il, convient à la semence, car elle a dirigé sa radicule de haut en bas, et voici qu’en outre elle peut diriger sa jeune pousse de bas en haut avec confiance. Pourquoi l’homme a-t-il pris si fermement racine en terre, sinon pour s’élever en semblable proportion là-haut dans les cieux ? ». Projet ambitieux mais pas évident pour le commun des mortels.

Cependant, on aurait tort de faire de lui une sorte de sage hindou, perché à vie sur une colonne. Même si côtoyer ses semblables était pour lui souvent source de friction, il a vécu au milieu d’eux, à sa manière : « Ce que je veux, c’est la fleur et le fruit de l’homme ; qu’un parfum passe de lui à moi, et qu’un arôme de maturité soit notre commerce».

Pensons au dialogue des abeilles avec les fleurs, et mille autres interactions entre les espèces vivantes, qui contrastent le plus souvent avec notre propre interaction. On reparlera de l’interaction du Coronavirus qui évidemment fait tâche.

Respect du vivant

De Boccace à Thoreau, le contraste ville-campagne s’est amplifié. De nos jours dans nos mégapoles, il devient radical. Cela me conduit bien évidemment à l’Agriculture Urbaine (AU) et entre autres, à Pépins Production.

Réconcilier le vivant et la ville, c’est ma façon très grossière d’en résumer l’objectif et l’idéal. Mais je préfère laisser la parole à ceux et celles qui la font.

Il se trouve que je me suis inscrit pour suivre un cours d’AU réalisé par « Les Cols Verts » sur le réseau de formation en ligne FUN MOOC (désolé pour ces acronymes bizarres).  Vous pouvez encore vous y inscrire ; il est ouvert à tous, sans formation préalable, et il fait intervenir toute sorte d’acteurs de l’AU.

Comme on pouvait s’y attendre, dans la section Galerie de portraits des acteurs de l’Agriculture Urbaine,  Amélie Anache présente dans un interview le projet de Pépins Production. J’ai relevé, dans son introduction,  l’expression d’une conviction forte. Je cite : « L’observation fine des plantes transmet le respect de la vie en général ».

En participant à la  production de plantes saines chez Pépins Production, en la diffusant dans les boutiques de quartier et enfin en l’insérant dans une jardinière d’un particulier, un jardin partagé ou, de manière plus systématique dans un projet de quartier ou d’immeuble, le respect de la vie en général chemine, je l’espère, le long de ces multiples canaux pour s’enraciner dans notre culture citadine.

C’est un objectif de long terme auquel s’attellent de nombreuses associations en relation souvent avec les élus locaux. La formation Cols Verts vous offre toute une liste d’interviews de ces acteurs qui vont nous accompagner sur ce chemin au fil du temps.

C’est aussi, me semble-t-il,  une condition première pour modifier les rapports entre la ville et la campagne, au bénéfice des deux. En quelque sorte, c’est une application plus vaste de la fable du radicule et de la pousse de David Thoreau : mettre à la portée de tous de.viser plus haut en regardant à ses pieds.

Mais au-delà que se passe-t-il ? Pour avoir fréquenté mes voisins paysans d’Auvergne où j’ai passé une partie de mon enfance, je pense qu’ils ne me contrediraient pas en disant qu’il y avait une grande naïveté de penser qu’en élevant ses moutons dans la ferme du Petit Trianon à Versailles, Marie-Antoinette allait rapprocher villes et champs. Tout ça pour dire que l’Agriculture Urbaine s’inscrit dans un champ bien plus vaste d’écologie tout en en demeurant un chaînon indispensable.

Impliquer la campagne, celle qui est hors les murs, ses paysans, maraichers, pépiniéristes, ses éleveurs, la mer et ses pêcheurs, dans une démarche pour sauver la ville ne me paraissait rien moins qu’évident.

La Résilience alimentaire et nous

Un des facteurs qui va peut-être accélérer cette modification, c’est le problème de résilience perçue généralement comme insuffisante face à la pandémie actuelle. Le prochain désordre majeur ne pourrait-il pas être pire et subvenir aussi à l’improviste ? Bien sûr, je n’oublie pas ceux qui, par suite d’une privation de ressource liée au confinement, connaissent dès aujourd’hui la faim. Mais mon but n’est pas de vous accabler en listant  les menaces potentielles et réelles.

Je ne vous présenterai pas non plus les écrits théoriques sur la « colapsologie », autrement dit le fondement scientifique de ce que fut pour l’ancienne Egypte l’interprétation du rêve des 7 vaches maigres fait par le pharaon par son conseiller Joseph et que rapporte la Bible. Pour le faire simple, tout le monde sait que le pire n’est jamais exclu, encore faut-il des Joseph pour nous ouvrir les yeux sur des risques tangibles.

J’ai appris le mot de résilience en lisant Boris Cyrulnik, psychanalyste. Comment comprendre qu’un enfant survivant d’un camp de concentration peut par la suite trouver sa place dans la société et un autre pas. La différence, c’est ça.

On s’attend après la pandémie actuelle à ce que nos chercheurs comparent la résilience des systèmes de santé entre les pays, ce qui entraînera nécessairement des ajustements des politiques de santé ici ou là pour la renforcer.

Pour rendre sensible le phénomène de résilience, je souhaitais trouver un exemple qui impliquerait chacun de nous et qui resterait dans le domaine où l’Agriculture Urbaine ne soit pas absente.

L’occasion me fut fournie par la vidéo youtube de Stéphane Linou « La Résilience Alimentaire » de septembre 2019 référencée dans le cours en ligne des Cols Verts déjà mentionné. Il a publié un livre « Résilience alimentaire et Sécurité du territoire ».

Sa 1ère démarche a été de ne se nourrir pendant un an qu’avec des produits provenant d’un rayon de 150km autour de Castel-Naudary où il résidait. Outre qu’il voulait montrer qu’on pouvait vivre bien avec des produits locaux, il a soulevé la question : est-ce qu’une ville entière pourrait faire de même en cas d’interruption de  l’alimentation venue d’ailleurs ?

David Thoreau questionnait chacun de nous sur nos choix de vie, Stéphane Linou portait le sujet de la sécurité alimentaire des populations urbaines sur la place publique comme enjeu cette fois national et local. Je retiens deux de ses question : « Est-ce que c’est risqué de ne pas produire à côté de là où on consomme ? » « Est-ce que les consommateurs sont conscients que lorsqu’ils achètent des produits venant de loin, ils fabriquent de l’insécurité alimentaire localement ». Et en cas de perturbation des circuits d’approvisionnement, combien de temps une ville peut-elle continuer à assurer les produits alimentaires indispensables ?

Le sujet est vaste, le diagnostic peu flatteur mais la construction de la résilience dans cette matière reste possible. Elle implique aussi bien l’Etat que les pouvoirs locaux. Certaines villes commencent à œuvrer dans ce sens, par  exemple par l’acquisition de terres à proximité pour les maintenir dans la production agricole. Mais aussi, et Stéphane Linou insiste là-dessus, le citoyen doit être impliqué et s’impliquer.

Il doit d’abord être informé des risques. Rien n’est plus néfaste que la surprise, suivez mon regard.

Je souhaite m’arrêter sur la seule question compatible avec cette chronique : d’accord pour informer chacun mais dans quel but ? Vous devinez où je veux en venir. Je gage que le canal le plus prometteur pour sensibiliser le citadin sur l’avenir de son alimentation est l’Agriculture Urbaine dans deux de ses dimensions : la production alimentaire et la pédagogie. Comment s’alimenter sur des circuits courts, comment susciter le désir de se nourrir de produits les plus naturels possibles ?

Vous pouvez reproduire l’expérience de Stéphane mais les étiquetages dans nos magasins ne nous facilitent pas la tâche.

En revanche, vous pouvez vous livrer à un examen de vos achats habituels. Si vous souhaitez contribuer à la résilience alimentaire de votre ville, vous pouvez imaginer des alternatives à discuter en famille : beurre de cacahuètes ou de noisettes (je n’ai pas encore convaincu ma fille),  pommes plutôt que raisins ou fraises hors saison, soupe aux légumes du marché ( tout le monde est requis pour l’épluchage) ou industrielle, etc…

Après discussion sur les coûts et les goûts , pour beaucoup d’entre nous, ce seront des efforts parfois douloureux à réaliser pour améliorer notre contribution à la résilience alimentaire. Mais comme nous sommes bons citoyens, nous aurons à cœur de faire bouger le curseur de la résilience, au moins petit à petit. Et si vous vous décidez de vous approvisionner aux boutiques bio de quartier ou au maraîcher de votre marché de plein air, le curseur passera carrément au vert. Et bien sûr, vous viendrez chez Pépins Production pour acheter  vos aromatiques, tomates cerises etc…. et encore mieux vous vous impliquerez comme bénévole.

Vous le faites déjà ? Alors je ne vous ai rien appris, et c’est tant mieux.

Restons vigilants.